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Grendel (Ro) Mythologie Anglo-Saxonne - DENOËL-Arc-en-Ciel,
2/1974 — 260 p. 13,50 €/To : Grendel,
Knopf, 1971/Tr. : René Daillie/Couv. : Non illustrée/Sommaire : Préface : Max-Pol Fouchet
Réédition : Denoël-Lunes
d'Encre, 12/2010 — 192 p., 17 €/Tr. : René Daillie, révisée par Thomas Day
& Xavier Mauméjean/Couv. : Lasth/Postface : Xavier Mauméjean
Sources : Le poème
anglo-saxon du Beowulf, traduit par Daniel Renaud (L'Age d'Homme, 1989)
Critiques : cafardcosmique.com (Pat) - chronicart.com (Pierre Jouan) - phenixweb.net (Georges Bormand) – Présences
d'Esprits 68, 9/2009 (Antoine Chalet) – SFMag 74, 11/2011(Emmanuel Collot) -
scifi-universe.com (Manu B.-Grendel : Caïn le maudit/Nicholas L.-Grendel :
Puisque tout redeviendra cendres)
→ « Grendel
c'est le tableau vu du point de vue des diables avec les saints qu'on entrevoit
parmi les arbres ». En concluant ainsi sa préface, John Gardner nous livre
toute la quintessence de son livre offrant une perspective dévié de la fameuse Légende
de Béowulf, le fameux poème épique écrit en vieil anglais dans les environs
de l'an 1000 et narrant les aventures d'un valeureux héros venu terrasser
Grendel, un monstre qui harcelait le royaume des Danois. Inversant totalement
les rôles Gardner invite Grendel, cet hideux habitant des marécages, descendant
de Caïn et parfaite incarnation du Mal qui durant 12 ans décime l'armée du roi
Hrothgar, à nous raconter sa vie. Et, au fil des pages, tout en plongeant au
sein de l'esprit torturé de cet être doué d'une intelligence aiguisée on
découvre que la Bête n'est pas où on l'a croyait. Car si Grendel dévore de
temps en temps quelques hommes, c'est avant tout pour satisfaire son besoin de
se nourrir, contrairement aux hommes qui s'entretuent avec le plus grand des
plaisirs. Pitoyable créature hanté par l'ombre de sa mère tapie sur une
montagne d'ossements qui ne cesse de lui rappeler son inexorable destinée,
Grendel, loin d'incarner la voracité bestiale dont l'a affublé le poème
initial, s'intéresse aux hommes qui le remplissent d'incompréhension s'efforce
de se rapprocher d'eux, et se voit toujours renvoyé vers son éternelle et
destructrice solitude. Cherchant pathétiquement sa place dans l'univers, sa
rencontre avec le dragon qui tuera Beowulf, vile créature écailleuse aussi
redoutable que perverse, sera pour lui une leçon de philosophie à la fois
instructrice et désespérante. Forcé de réinventer le monde à l'aune de ses
douloureuses expériences, Grendel s'enlise dans une toile de sentiments
contradictoires où l'amour côtoie dangereusement la haine. Flirtant avec les
rivages de la folie, il aborde ceux du nihilisme, tout en se demandant, une peu
comme la créature du Dr Frankenstein abandonnée dans la nature, pourquoi il est
né pour terroriser les gens. Sa guerre menée pendant 12 ans n'est pas
réellement tournée vers Hrothgar, le roi du Danemark, mais contre l'Humanité
vers qui il se sent irrésistiblement attiré, et qui ne veut absolument pas de
lui. Et lorsque arrive l'épisode final du combat contre Beowulf, on est en
droit de se demander s'il périt simplement au cours de l'affrontement ou s'il
s'est offert à une mort devenue l'unique alternative à son existence tragique
livrée à elle-même au sein d'un univers dérivant dans le chaos. A travers le
pathos qui accompagne son existence, Grendel se pose comme un alter ego de John
Gardner, marqué à jamais dans sa douzième année par la mort de son frère qu'il
a accidentellement provoquée en conduisant un tracteur. D'où la fuite en avant
de l'écrivain, qui se retrouve dans la trajectoire du monstre travaillé par
toutes sortes de sentiments contraires, marqué par le poids de ses fautes, et
crachant ses colères à la face d'un monde irrationnel où il cogne
invariablement sa grosse carcasse tel un Sisyphe remontant sans cesse son
énorme rocher, sans espoir de rédemption ni de lendemain. Plonger dans ce livre
sans joie n'est pas un exercice facile, bien que la plume experte de l'auteur
soit le meilleur des guides, même quand elle s'amuse à singer les mesures du
poème épique. Mais, passer à côté des mésaventures de cette sublime figure de
la littérature serait une grossière erreur, car c'est au cœur de ces pages que,
mieux que dans tout journal télévisé, on peut prendre conscience de toute la
grandeur de la bêtise humaine à travers la plaidoyer à la première personne
d'un monstre frustré d'un manque cruel de références perpétuellement à la
recherche d'un lui-même dont il ne parvient pas à appréhender les contours, et
magnifique exemple d'une déconstruction héroïque sans équivoque où il n'y a
surtout rien à attendre du côté de Dieu et des religions et encore moins de
celui de la raison, réputée salvatrice quand il faut échapper au chaos, mais
qui nous condamne somme toute à la plus sordide des prisons. Un roman qui se
conclut par une passionnante postface de Xavier Mauméjean qui s'efforce
d'éclairer les parties sombres de l'œuvre en les mettant en lumière à travers
le prisme de la vie de l'auteur étroitement liée à la légende de Caïn et Abel.
Articles
♦ Postface de Xavier Mauméjean, in Grendel, Denoël-Lunes d'Encre, 2011.
♦ Préface de Max-Pol Fouchet, in Grendel, Denoël-Arc-en-ciel, 1974.
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